Une nouvelle fois, tous les ingrédients d’un aménagement brouillon aux conséquences graves pour le commerce de proximité sont réunis dans le quartier de la Cathédrale, qui va de la rue Montesquieu à la rue Saint-Georges, en passant par la rue du cloître, le parvis Jean-Paul II, la place Monseigneur-Ruch et la rue de la Primatiale. En plein cœur économique et historique du centre-ville, et dans le cadre du projet phare de renouvellement du réseau de transport en commun, c’est le projet sur lequel on aurait pu penser que toutes les énergies seraient rassemblées, que ce serait un projet « vitrine », exemplaire en termes de méthode, de concertation, de conduite du chantier, d’accompagnement des habitants… Et pourtant…

Là comme dans d’autres quartiers de la ville (Rue de Verdun, place Camille Cavalier, et on pourrait en citer tant d’autres), on retrouve ce qui fait finalement la marque de fabrique de l’actuelle municipalité qui décidément n’apprend pas de ses erreurs :

  • absence de dialogue en amont pour définir le projet avec les habitants et les professionnels du secteur et un simulacre de concertation lors d’une réunion de quartier organisée en novembre 2023 à la va-vite et vécue comme telle par les riverains, où seulement deux possibilités d’aménagement – dont une (volontairement ?) repoussoir et sans études d’impact comparatives  – ont été présentées,
  • absence de définition a priori des contraintes (circulation des camions de collecte des déchets – qui ne peuvent normalement reculer pour des raisons de sécurité –, accessibilité des pompiers – qui rappelle d’ailleurs le chantier de la rue des Dominicains où il a fallu revoir le dessin du projet a posteriori pour garantir l’accessibilité des secours)  ;
  • absence de réflexion sur les opportunités: pourquoi ne pas avoir profité du chantier pour réfléchir/inciter les opérateurs à connecter le côté de la rue qui ne l’est pas encore à la fibre ? Les nombreuses familles et professions libérales du secteur auraient apprécié ! ;
  • absence de conduite du chantier : les habitants se souviendront longtemps des amas de poubelles (et des odeurs) au cœur de l’été en raison du fait que les difficultés de collectes induites par le chantier n’avaient pas été anticipées. La présence de « bacs verts » pour les cartons sur une place de livraison complexifie encore à l’heure actuelle la livraison des bars et restaurants et embolise le carrefour Montesquieu / Primatiale à certaines heures,
  • absence d’études d’impact des changements de sens de circulation, des reports induits rue Mably et rue des Chanoines notamment (alors que la desserte en sécurité de plusieurs établissements scolaires est en question et que l’étroitesse de ces rues leur confère par nature une vocation de desserte des habitations et non de transit) et de scénarios véritablement alternatifs,
  • absence de prise en compte des usages des uns et des autres et de la spécificité de cet espace patrimonial exceptionnel à la frontière entre le cœur commercial Saint-Jean/Saint-Georges, les espaces de vie et de convivialité de la rue de la Primatiale et un quartier résidentiel. Où situer le point de bascule ? Quel projet, visions, pour le quartier au-delà de la mise en impasse de la rue ? Quelles évolutions souhaiter / encourager / limiter (extension / nouvelles terrasses, risque d’« AirBnbisation »…) sur le secteur ?

L’extension exponentielle de la terrasse à l’angle des rue Barrès et Saint-Georges, dans un enrobé indigne du secteur historique, n’a pas manqué d’interpeller les riverains. À leur inquiétude légitime sur l’implantation de nouveaux débits de boissons sur le secteur, il a d’ailleurs été répondu un peu trop rapidement que la proximité de la Cathédrale les en protégeait, alors même que la réglementation est un peu plus complexe que cela (comme le montre la réponse à une question écrite au Sénat, la délimitation autour des lieux de culte est en effet facultative) et ne concerne ni les restaurants ni la vente à emporter.

Résultats d’un « projet » précipité et non véritablement concerté : des professionnels laissés sans réponse et pire, sans solutions ; auquel on peut ajouter le jeu de la patate chaude « c’est pas moi c’est l’autre » entre les différents interlocuteurs et qui finit par irriter grandement et bien plus encore que les chardons symbolisant la riposte et distribués en janvier par les fleuristes pour marquer la fin de la trêve des confiseurs.

Alors quand des perturbationnistes nous ont invité à formuler des propositions pour un commerce du quartier, en l’occurrence le magasin de fleurs « Le Liseron » qui aura à subir concrètement les lacunes qui viennent d’être évoquées dans son activité, nous avons saisi l’occasion. Car l’espace public est un sujet trop important pour être traité avec amateurisme et les enjeux humains trop nombreux pour laisser place au dédain ambiant, ou pire à l’indifférence. Les commerçants ne peuvent être laissés sans solutions.

Un chantier symptomatique de l’absence d’une vision globale et de l’urgence de déployer une politique volontariste et écologique en matière de logistique urbaine

Comme pour la rue de Verdun – où la place de livraison du boulanger-pâtissier avait été tout simplement oubliée, un sujet cristallise les tensions : la non-anticipation des besoins des commerçants, et de leurs indispensables aires de livraison.

Dans cet espace frontière, la question des livraisons est cruciale. Le Liseron ne se voit pourtant proposer aucune solution viable en pratique ni soutenable économiquement.

Rappelons que les deux gérants de ce commerce emploient deux personnes, forment chaque année deux apprenti(e)s CAP et accueillent des stagiaires de l’école de la seconde chance. C’est une institution dans le quartier, facteur de lien et de fierté. L’actuel projet de réhabilitation de la place Monseigneur-Ruch limitera l’accès à son local ; alors même que les déplacements quotidiens sont nombreux pour ce type de commerce. La seule proposition qui lui est faite : se garer sur une aire de livraison avec nécessité de déplacer le véhicule toutes les 45 minutes sous peine d’une vidéo-verbalisation…

L’absence de solution proposée à ce commerce spécifique constitue la face émergée de l’iceberg et leur combat met en lumière l’absence de stratégie efficace en matière de circulation et d’organisation de la logistique urbaine. Il serait sans doute temps que les études prévues depuis 2021 dans le plan Métropolitain des Mobilités – P2M et visant à l’élaboration d’un schéma de logistique territoriale aboutissent et qu’en attendant, un peu de bon sens préside aux décisions de proximité…

Comme dans d’autres axes critiques (rue d’Amerval, rue Stanislas, rue Raymond Poincaré par exemple), la non gestion des livraisons entraine des dysfonctionnements qui génèrent des tensions et impactent les professionnels autant que les riverains :

  • Faute de solution adaptée et concertée, les arrêts en double-file sont trop souvent privilégiés par les livreurs, avec des risques en termes de sécurité et des conséquences pénalisantes sur la circulation. La rue Montesquieu n’échappe pas à la problématique.
  • Pour les riverains, les impacts sont nombreux sur leur qualité de vie : congestion, nuisances sonores, émissions de CO2, polluants locaux. L’engagement écologique doit commencer là aussi, en faisant tout pour limiter les effets immédiats de la pollution. Le plan d’action pour la qualité de l’air adopté récemment par la métropole qui vise pourtant à « limiter l’exposition de la population à la pollution de l’air » n’évoque en rien les sujets de logistiques urbaines et s’en tient – hélas – aux seules mantras de « réduire la circulation automobile » et « limiter la circulation des véhicules les plus polluants ».

Une aire de livraison n’est pas qu’un coup de peinture jaune sur la chaussée mais nécessite une vision globale. Une politique de logistique urbaine efficace permet de faire face aux défis liés à l’augmentation du commerce en ligne, à la croissance des échanges et à la nécessité de réduire l’empreinte carbone des déplacements. En mettant en place des stratégies de gestion des flux, les villes peuvent réduire les embouteillages, la pollution et les nuisances sonores mais aussi améliorer l’efficacité des livraisons, optimiser l’utilisation de l’espace urbain et à soutenir le développement économique local. Ce dernier point n’est pas le moins important et mérite d’être défendu ! Nos commerces de proximité génèrent de nombreux mouvements, mais il faut s’en réjouir et les accompagner au mieux, car c’est le signe d’une activité économique solide et attractive.

Nos propositions pour une politique de logistique urbaine au service de l’activité des commerçants et du bien-être des habitants  

  • Pour faciliter l’activité des professionnels – bien souvent déjà pénalisés par les difficultés de circulation :
  1. mettre en place une gouvernance concertée entre acteurs publics et privés sur les questions de logistique urbaine et mettre en place une charte de logistique urbaine durable en faveur d’un transport de marchandises plus décarboné en ville (dont la pertinence est rappelée dans le rapport d’information sénatorial sur la logistique urbaine durable) ;
  2. instaurer un tarif de stationnement résidentiel pour les professionnels, proposition que nous avions déjà défendue dans nos 6 propositions pour le stationnement à Nancy ;
  3. instaurer la gratuité du stationnement à tout véhicule 100% électrique ou hydrogène.
  • Pour garantir une meilleure fluidité des flux et un meilleur partage de l’espace public :
  1. Réaliser un schéma directeur des aires de livraison, basé sur l’observation de l’usage réel des aires de livraison (les études montrent que les aires de livraison ne seraient utilisées pour l’arrêt des véhicules effectuant un chargement ou un déchargement que dans 9 % des cas !) et permettant d’ajuster le maillage, la taille et le nombre des aires en fonction des besoins et de la densité de livraisons attendues.
  2. Multiplier la prévention et le contrôle sur l’usage des aires de livraison.

En ce qui concerne spécifiquement la situation du commerce « Le Liseron », nous proposons :

  1. de leur octroyer, ainsi qu’à d’autres commerçants du quartier, le bénéfice d’un abonnement à tarif préférentiel pour le stationnement sur la voirie, dans leur zone d’activité pour un véhicule (tarif journalier, mensuel ou annuel) ;
  2. une méthode de travail collaborative, comprenant un temps d’observation du nouveau fonctionnement en impasse de la rue Montesquieu, des échanges réguliers pour tirer les enseignements du recensement des activités et mouvements réels dans le périmètre – sans répression / verbalisation automatique pour apaiser la situation, et l’élaboration de solutions ad hoc pour un juste partage des aires de livraison avec les autres usagers.

Plus largement, nous proposons également de construire un projet de quartier, au-delà de la seule mise en impasse de la rue Montesquieu :

  1. Organiser un atelier urbain, sous l’égide d’un acteur extérieur, et permettant d’aborder l’ensemble des problématiques adaptées à cet espace et à ses spécificités. Habitabilité, sécurité, propreté, accessibilité, numérique, respirabilité, écologie, fonctionnement commercial : ce sont tous ces éléments qu’il faut travailler de concert lorsqu’on aménage le cadre de vie. La mise en impasse de la rue Montesquieu peut être vécue comme une forme de déclassement unilatéralement décidé. Ce n’est pas en projet en soi. Ce n’est pas une finalité, à peine un commencement. Pour transformer cette contrainte, un travail étroit d’observation des usages et d’adaptation des solutions doit être mené avec les habitants et acteurs. La mise en impasse de la rue Montesquieu peut être vécue comme une forme de déclassement unilatéralement décidé. Ce n’est pas en projet en soi. Ce n’est pas une finalité, à peine un commencement. Pour transformer cette contrainte, un travail étroit d’observation des usages et d’adaptation des solutions doit être mené avec les habitants et acteurs économiques, en leur donnant un calendrier clair de travail.

Pour conclure, les élus de ville de Nancy ne montrent que peu d’enthousiasme – et c’est un euphémisme – pour mener des procédures de concertation véritablement construites dans l’ensemble des quartiers. L’avenir de l’espace Carnot / Léopold fait d’ailleurs figure d’exception. Nous ne pouvons nous résoudre à cette lente régression démocratique. Comment intégrer les habitants dans la Fabrique de la Ville ? Les actes de ce colloque reprennent une référence à une conférence donnée en 1791 par Condorcet dans laquelle il indique que « la connaissance est une création collective dont la construction ne peut être garantie que par la publicité : le droit de savoir, de s’informer et de s’exprimer, en toute lumière. Et il précise qu’elle invite à se méfier, d’instinct, de tout pouvoir qui se prétend détenteur d’une vérité qu’il suffirait d’expliquer et d’enseigner, assimilant ses opposants à de mauvais élèves et réduisant les difficultés qu’il rencontre à des problèmes de pédagogie. » Les habitants ont le droit de prendre part à la fabrique de la ville et de contrôler son évolution. Et ce droit nous le défendons.