La fermeture de la MJC Pichon est une défaite collective et une blessure pour tout un quartier. La réaction des pouvoirs publics en charge nous surprend par l’absence d’anticipation et de prise de responsabilité. L’audit que la Mairie envisage de demander à la Chambre régionale des Comptes des 6 structures restantes nous semble en décalage avec le soutien que mérite tout ce secteur et potentiellement une triste manière de rejeter sur les autres les lacunes de son suivi, qui sont imputables à la collectivité et aux élus en charge. Parce que les MJC, acteurs clés de l’éducation populaire, sont des espaces uniques et infiniment précieux, et alors qu’on va fêter – à Nancy – les 80 ans de la 1ère MJC de France, voici notre analyse, notre vision et nos propositions.

I- Les MJC, Maisons de la Jeunesse et la culture : et tellement plus encore !

Les Maisons des Jeunes et de la Culture (MJC) sont des acteurs incontournables de l’éducation populaire. Elles favorisent l’accès de toutes et tous à la culture, à la citoyenneté et à l’engagement. A la croisée du social, de l’éducation et de la culture, elles incarnent un lieu d’apprentissage et de vivre-ensemble au cœur des quartiers.

Pourquoi choisir une MJC pour son activité extra-scolaire ou extra-pro ?

Dans notre ville, l’offre culturelle, sportive et de loisirs est riche. Danse, théâtre, poterie, capoeira, il y en a pour tous les goûts et les structures sont nombreuses. Alors pourquoi pousser la porte d’une MJC plutôt qu’une autre structure ? Qu’est-ce qui fait son petit plus ?

En choisissant une MJC — Maison pour les intimes — vous prenez un risque. Le risque de déborder du cadre. Oui, vous venez pour un cours de gym ou un atelier peinture, et vous repartez, un jour peut-être, avec une idée folle, un projet collectif ou même une passion nouvelle.

Bien sûr,

vous trouverez ce que vous étiez venu chercher : un bon rapport qualité/prix, une ambiance agréable, un lieu vivant — une sorte de fourmilière pleine de passages, de rires, de bruit joyeux… un joyeux bazar organisé. Vous pouvez y rester dix ans, fidèle à votre activité, sans jamais dépasser les contours du cadre.

Mais, parfois, un petit miracle a lieu. Une musique qui s’échappe d’un couloir vous retient l’oreille, une expo vous attire l’œil, une personne vous interpelle pour rejoindre une aventure… et vous voilà embarqué.

Et si une idée germe dans un coin de votre tête, la MJC peut devenir ce terreau fertile qui lui permettra d’éclore.

Que vous ayez 7 ans ou 77 ans, la magie opère sans prévenir.

C’est ça, le supplément d’âme d’une MJC : la rencontre imprévue avec un univers artistique, une conférence qui vous ouvre l’esprit, une fête partagée avec des voisins que vous n’auriez jamais croisés autrement. Vous découvrez, vous échangez, vous vous étonnez. Vous vivez.

Car dans une MJC, il y a toujours des projets en cours, des envies en ébullition. Le « J » de MJC, c’est pour « jeunes », et c’est parfois contagieux : on commence par des cours de guitare, et on finit sur scène avec un groupe. On découvre les arts du cirque, et on monte un spectacle itinérant. On déborde du support, en grandissant, en osant, en partageant.

Une alchimie collective

Mais pour que cette magie fonctionne, il faut un équilibre subtil. Une vraie alchimie.

Une MJC, c’est une association loi 1901. À sa tête, un conseil d’administration composé de bénévoles. Ce sont eux qui emploient les professionnels — animateurs, administratifs, artistes, éducateurs. Et de cette combinaison naît une dynamique unique.

Là où l’un apporte rigueur, l’autre amène créativité. Travailler dans une MJC, c’est souvent accepter d’aller au-delà de sa fiche de poste : tenir un stand, mettre la main à la pâte, repenser ses pratiques. Côté bénévoles, l’investissement est total : entre droit du travail, finances, négociation avec les institutions… il faut savoir manier bien plus qu’un simple tournevis. Il faut être un vrai couteau suisse.

Une MJC, c’est comme une recette maison. On dose, on ajuste, on invente, le tout dans une cuisine parfois exiguë. Car oui, proposer des activités riches et originales dans un cadre budgétaire serré, c’est un exercice d’équilibriste. L’esprit tourné vers l’horizon, les pieds bien ancrés dans les réalités financières et réglementaires.

Ce qu’on ne voit pas toujours

Parfois, l’équilibre vacille : changement de direction, bouleversement dans l’équipe, crise sanitaire… Vous, derrière votre cours de langue ou lors d’un spectacle, ne percevez pas toujours les remous en coulisses. Et c’est normal. Mais derrière chaque événement, chaque activité, il y a des professionnels passionnés et des bénévoles engagés qui tiennent la barre contre vents et marées.

Car une MJC, ce n’est pas juste un catalogue d’activités. C’est un acteur de la ville, un cœur qui bat pour son quartier, pour sa cité. Elle valorise les talents locaux, soutient les jeunes porteurs de projets, accueille d’autres assos, prête ses murs, ouvre ses portes.

Une fourmilière, toujours en mouvement, qui contribue aux politiques publiques : accueil des jeunes pendant les vacances, actions sportives, culturelles, artistiques, partenariats avec les écoles… Les MJC font lien. Elles tissent du commun.

Et quand l’orage gronde…

Alors quand un coup dur frappe et qu’une MJC risque la fermeture, il ne faut pas juger trop vite.

En revanche, il est intéressant d’analyser la réaction des élus en responsabilité, car cela dit beaucoup de leur manque de suivi, de la froideur de leur approche et du cynisme mal masqué par une communication bien huilée, à l’opposé de tout ce qui fait la richesse et la vie de l’éducation populaire.

II- Une crise révélatrice d’un manque de vigilance politique

Nancy est la ville qui a vu naître la toute première Maison des Jeunes et de la Culture en France. Dans quelques jours, la MJC Desforges fêtera ses 80 ans. Ce symbole fort rappelle l’ancrage profond des MJC dans notre territoire. Jusqu’à présent, la ville en comptait 7, proposant 450 activités, rassemblant 12 000 adhérents de 3 à 80 ans, et touchant plus de 30 000 personnes chaque année à travers des événements, concerts, expositions ou manifestations.

Ce réseau dynamique repose sur l’engagement de 120 responsables associatifs bénévoles, qui assurent un travail quotidien remarquable. Pourtant, une question s’impose : comment une telle richesse a-t-elle pu être négligée au point qu’une MJC de notre ville doive fermer ses portes, dans une indifférence politique presque totale ?

Un dysfonctionnement grave et un silence préoccupant

Que s’est-il passé ? Quelles alertes n’ont pas été entendues ? Quelles décisions n’ont pas été prises ? Il peut y avoir eu des erreurs de gestion, des fragilités internes. Mais cela ne saurait justifier l’absence de réaction de la municipalité. Quel accompagnement? Quel dispositif de soutien? Quelles mesures préventives ont-elles été prises ?

Plus inquiétant encore, cette situation n’a fait l’objet d’aucune information claire de l’assemblée délibérante lors des Conseils municipaux de mars et de mai. En particulier, comment comprendre qu’aucune communication sur la situation de la MJC Pichon n’ait eu lieu lors du Conseil municipal du 31 mars 2025, alors que, lors de celui-ci, ont été votées des subventions aux MJC, dont la MJC Pichon ? Comment admettre que le même silence ait entouré les débats du Conseil municipal du 19 mai 2025 ?

Ce manque de transparence est regrettable.

Des responsabilités à clarifier

Tout comme l’est l’absence de responsabilité assumée de la part des acteurs en présence et qui devront rendre des comptes au premier rang desquelles la présidente de la MJC.

Dans ce contexte, il est légitime de s’interroger sur le rôle de l’élue en charge de ce secteur. Pourquoi ce silence prolongé ? Pourquoi cette absence de pilotage ? Pourquoi cette inaction avant que la situation ne soit rendue publique ?

Et surtout : comment peut-on encore prétendre exercer une délégation après un tel dysfonctionnement sans en rendre compte publiquement ? La dignité appelle à la démission. Une prise de responsabilité lors du conseil municipal du 27 juin, faisant suite à la fin d’activité de la MJC s’impose.

Ne pas désigner précisément les responsables et ne pas circonscrire précisément les raisons qui ont conduit à cette situation, c’est risquer de laisser la suspicion d’une gestion peu professionnelle s’installer sur l’ensemble du réseau associatif, ce qui serait profondément injuste pour les autres MJC et leurs bénévoles, qui méritent au contraire un soutien offensif.

Un audit pour se défausser

Aujourd’hui, face à cette crise, la municipalité annonce un audit, tout en indiquant qu’elle n’a pas les moyens de le mener à bien. Aussi, annonce-t-elle saisir la Chambre régionale des comptes.

Sur quelle base ? A notre connaissance, aucun texte ne prévoit qu’un maire puisse la saisir pour procéder à un tel audit. En particulier, l’article R245-1-2 du code des juridictions financières ne prévoit la possibilité d’une telle saisine que pour les Présidents de région, département ou métropole, soit à leur initiative soit de l’initiative de leur conseil délibérant, cette saisine pouvant porter sur une évaluation de politique publique.

Une telle démarche ne risque-t-elle pas d’être perçue comme un acte de défiance vis-à-vis de des autres MJC ? La Chambre régionale des comptes ouvrira-t-elle 6 enquêtes ? Dans des structures auxquelles – rappelons-le – la Mairie ne verse aucune subvention directe, étant donné que les subventions versées par la ville de Nancy transitent via l’Union Locale des MJC ? S’agira-t-il d’une approche plus large d’évaluation de la politique de la Ville en matière de jeunesse et d’éducation populaire ?

La démarche d’audit semble en décalage avec les besoins du moment. Elle aurait été utile et même nécessaire il y a plus d’un an concernant la MJC Pichon, dès les premiers signaux de difficultés. Cependant, rien n’a alors été fait.

Aujourd’hui, c’est une démarche coconstruite avec les acteurs, sur la base de convictions politiques fortes et permettant de se projeter ensemble vers l’avenir qu’il faut initier.

Reconstruire la confiance, avec méthode et respect

Il est temps d’ouvrir une nouvelle page. Cette crise doit conduire à un diagnostic partagé, à une gouvernance renforcée, à une meilleure coordination entre la Ville et ses partenaires associatifs. Il ne s’agit pas seulement de réparer, mais de reconstruire, dans un climat de confiance et de respect mutuel.

C’est à cette condition que nous pourrons éviter que de telles situations se reproduisent et garantir l’avenir des MJC, piliers essentiels de la vie citoyenne, éducative et culturelle à Nancy.

III- Nos principes et nos propositions

Nous estimons que, en matière d’éducation populaire, il est primordial de :

–          reconnaître l’importance des MJC, qui sont à la fois l’âme des quartiers, un lieu refuge pour certains, un lieu d’épanouissement pour beaucoup ;

–          reconnaître, valoriser et accompagner l’engagement et l’investissement de ceux qui font vivre ces lieux ressources ;

–          renforcer le dialogue entre les MJC et les financeurs publics.

Aussi, nous proposons :

–          le maintien d’une offre d’éducation populaire renouvelée sur le quartier Saint-Pierre René II Bonsecours, sur la base d’un diagnostic de quartier qui permette de révéler les problématiques et de recenser les besoins. Nul besoin d’ailleurs de faire appel à un cabinet extérieur ou de lancer une démarche coûteuse. L’absence de moyens ne saurait être une excuse pour ne pas faire : les compétences sont au sein des associations et des partenaires institutionnels. En les mobilisant, chacun dans son secteur d’intervention, ils peuvent mener ce diagnostic et proposer un renouveau sur le quartier.

–          la co-construction et la modernisation des conventions liant la mairie et les MJCc, sur la base de projets partagés, d’objectifs communs et d’indicateurs de suivi. Une convention pluriannuelle d’objectifs et de moyens (CPOM), ce n’est pas un « gros mot » ni un acronyme administratif et inutile. Une CPOM peut être le socle de la co-construction d’une politique dédiée à la Jeunesse à Nancy.

–          le renforcement du Centre Ressource de la Vie Associative (CRVA) car un logiciel pour gérer les demandes de subvention c’est bien… mais pas suffisant. Un lieu unique pour gérer les demandes de matériels c’est bien mais cela ne peut suffire à définir les relations d’une municipalité avec ses associations. Il faut faire du CRVA le pilier d’une politique consacrée aux associations et aux bénévoles de ces associations par :

  • la formation des responsables des MJC : recenser les besoins et construire un programme avec les bénévoles, créer ainsi un terreau du bénévolat “made in Nancy” ;
  • la mise à disposition d’outils de suivi financier pour gérer au mieux les budgets dans un contexte de ressources contraintes, anticiper les difficultés, les appréhender avant la crise irrémédiable : contrôler mais aussi et surtout accompagner tant qu’il est temps.

–          le maintien du financement pluriannuel dans une relation de confiance Ce qui implique d’imaginer des dialogues constructifs sur les besoins de la jeunesse actuelle (lutte contre le harcèlement scolaire ou encore valorisation des compétences psychosociales des enfants et adolescents), de transformer l’obligation de réunion d’évaluation annuelle en temps d’échanges positifs et concrets sur les enjeux de la Culture à Nancy, sur les besoins des quartiers. En somme de dépasser cette vision comptable pour faire de cette réunion un temps d’échanges profitable aux Nancéiens.

Ces quelques réflexions s’inscrivent dans une plus globale concernant le monde associatif sur laquelle nous reviendrons prochainement.