Une ambition de bon sens

En 2022, se préoccuper de la qualité, du confort et de la sécurité des espaces publics de centre-ville dédiés aux piétons n’est ni une mesure de gauche ni une mesure de droite, mais plus simplement une ambition de bon sens, qui s’impose à tout responsable public.

Il faut le reconnaître, sur ce sujet, Nancy est à la traine. Au cours des 25 dernières années, seuls deux espaces publics ont été piétonnisés : la Place Stanislas et ses abords en 2005 et les rues des Ponts et Visitation en 2013.

Par comparaison avec d’autres Métropoles en France et en Europe, la place que nous laissons à la circulation automobile dans notre centre-ville est prépondérante, alors qu’elle n’est pas toujours justifiée.

Cependant, la piétonnisation, guidée par la nécessaire amélioration de la qualité de vie, de l’air et de l’attractivité de la ville, doit être conduite avec méthode et concertation et ne doit pas conduire à opposer les usagers de l’espace public les uns aux autres. Seule une approche globale et cohérente peut le permettre.

Un préalable : viser le tous gagnants pour éviter le tous perdants

Aujourd’hui, sur le million de déplacements enregistrés sur l’agglomération :

  • Environ 50 % sont réalisés en voiture, c’est trop.
  • 11 % en transports en commun, c’est trop peu.
  • 3 % en vélo, c’est malheureusement insignifiant…
  • Seul point de satisfaction, 36 % sont faits à pied. Ce qui fait de nous parmi les meilleurs marcheurs de France.

En adoptant, en novembre dernier, son Plan Métropolitain des Mobilités (« P2M »), à l’issue d’une phase de concertation menée en pleine crise sanitaire et qui n’a pas été exempte de critiques, la Métropole du Grand Nancy entend révolutionner les mobilités sur son territoire. Les objectifs sont clairement affichés d’ici à 2035 : réduire au mieux de 22 % les déplacements en voiture, faire progresser les déplacements en vélo de plus de 10 %, et conforter la marche dont la part est déjà très importante.

Ce qui est troublant et inquiétant, c’est que la progression espérée des déplacements en transports en commun n’est que de 4 %. C’est là notre point de désaccord fondamental avec le P2M, car nous pensons que c’est la source primordiale de rééquilibrage des déplacements et le levier principal d’actions.

Sans réseau de transports en commun moderne, propre, régulier et performant, toutes les mesures prises par ailleurs, et notamment aux fins de développer les déplacements piétons, seront inefficaces. Pire : elles laisseront le sentiment que la volonté est de monter les usagers les uns contre les autres. C’est malheureusement la partition qui commence à se jouer à Nancy et nous ne pouvons pas nous en réjouir.

Qui n’a pas été dans l’une ou toutes de ces situations ? Frustré(e), devant un tram bondé ou en panne ? Exaspéré(e) par un bus qui trop souvent est en retard ou qui affiche un prochain passage dans 37’ ? Interrogatif(ve) sur le bienfondé de rendre gratuit – pas pour tout le monde – un réseau dans un si piteux état ? Patient(e), au volant de sa voiture rue Stanislas ou de Metz aux heures de pointe ? Crispé(e), au guidon de son vélo devant la nouvelle piste cyclable de la rue Gambetta ? Indisposé(e), par les vapeurs de détergeant espérant couvrir les odeurs d’urine dans le parking Place du Marché ? Inquiet(e), par la disparition de toutes ces places de stationnement de surface lorsqu’on habite en vieille ville ?

Toutes ces situations bien réelles démontrent qu’il y a sans doute des feux à éteindre avant d’en allumer un autre.

Or, à en lire la presse et en discuter avec un nombre important de commerçants et d’habitants des secteurs concernés, le projet de piétonnisation est mené à « marche forcée » et ne contente personne.

En fait, il ne semble satisfaire que les élus de la majorité municipale qui entendent s’empresser de remplir cet engagement de campagne majeur, avant la mi-mandat.

Ce projet ne doit cependant pas relever de l’affichage ; il est en effet essentiel à l’amélioration des déplacements et à la qualité de vie à Nancy.

Il ne doit pas non plus relever d’une volonté dogmatique ; il doit en revanche être le fruit d’un dialogue réel, dans le seul intérêt général et sans visée partisane.

C’est dans cette optique que devrait se placer la concertation sur la piétonnisation du centre-ville de Nancy. Il est toutefois possible d’en douter au regard de la volonté affichée de déployer le périmètre qui sera choisi dès l’été 2022, ce qui laisse à penser que tout est décidé d’avance et que, au final, les avis comptent peu.

Or, mené avec méthode, ce projet pourrait et devrait être profitable à tous : habitants, commerçants, touristes, personnes travaillant à Nancy, etc…

Une nécessité : une approche globale et cohérente

Le sujet de la piétonnisation du centre-ville de Nancy est trop important pour n’être regardé que par le petit bout de la lorgnette, à l’échelle d’une rue voire d’un bout de rue et au regard du seul prisme du piéton. En effet, agir sur les mobilités et améliorer le cadre de vie passe nécessairement par une réflexion et une cohérence globales, prenant en compte tous les modes de déplacement, des aménagements adaptés et qualitatifs et l’ensemble des caractéristiques des voiries et de tous leurs usagers.

            Un nécessaire projet d’ensemble

Tout d’abord, il est difficilement concevable d’envisager la piétonnisation sans prendre en compte la globalité des modes de déplacement. Nous avons abordé cette problématique plus haut ; elle est primordiale. En effet, comment s’accommoder de l’abandon du renouvellement du tram et de la refonte du réseau de transports en commun et, dans le même temps, vouloir réduire de 50 % la place de la voiture à Nancy. Comment prétendre favoriser les déplacements piétons, lorsque, parallèlement, sont abandonnées les mesures tarifaires appliquées au stationnement dans les parkings en ouvrage, visant précisément à ce que les automobilistes y laissent, de manière prolongée, leurs véhicules et se déplacent à pied à dans la ville ?

Ainsi, la piétonnisation du centre-ville de Nancy ne saurait être mise en œuvre avec succès que si elle l’est concomitamment avec le renouvellement de l’offre de transports en commun, la modernisation du plan de circulation automobile, le déploiement massif et cohérent de voies cyclables, et une offre de stationnement, notamment en ouvrage, attrayante. À ce stade, tel ne semble pas être le cas, la plupart de ces mesures n’étant envisagées que postérieurement. Dans ce contexte, il est à noter que les mesures d’accompagnement évoquées dans le livret de concertation apparaissent trop ponctuelles et limitées. À titre d’exemple, le passage de la gratuité du stationnement dans un parking en ouvrage de 30mn à 1h est, au mieux, anecdotique, et ce d’autant plus qu’il ne concernerait que certains parkings. Il en est de même des propositions de jalonnement dynamique des parkings ou de l’offre de contremarques.

            Des aménagements urbains qualitatifs

Ensuite, il est nécessaire de penser le renforcement de la place du piéton dans la ville, en prévoyant, parallèlement, des aménagements urbains conséquents. Favoriser les déplacements piétons n’implique pas uniquement d’installer un panneau sens interdit dans une rue, d’y planter quelques arbres et de délimiter l’espace par une borne rétractable. Cela nécessite l’aménagement d’un réel plateau piétonnier, où la voirie est, y compris dans son traitement et son apparence, effectivement dédiée au piéton, et où le mobilier urbain est adapté. Il est ainsi nécessaire d’envisager, notamment, que le niveau de certaines rues soit mis au même niveau que les trottoirs, que la voirie soit pavée, que des bancs soient installés, qu’une végétalisation de qualité soit intégrée, etc. Or, ces pistes ne sont pas ou pas suffisamment développées dans le livret de concertation. Certes, certains éléments et les quelques visuels fournis peuvent laisser entendre que certains de ces aménagements seraient possibles (en particulier s’agissant de la végétalisation), mais aucune information précise, d’ordre technique ou budgétaire, n’est communiquée à cet égard.

En tout état de cause, nous tenons à saluer la volonté affichée de requalifier, de manière qualitative, la place de l’Arsenal. Un tel projet participera sans aucun doute à améliorer la qualité de vie dans cette partie de la ville vieille.

Une piétonnisation « sur mesure »

Enfin, il est nécessaire, tant pour définir le périmètre piétonnier que l’aménagement de celui-ci, de tenir compte des caractéristiques propres aux voiries qu’il englobe. Le livret de concertation évoque cette problématique en relevant que certaines ont « un caractère très routier », tel n’étant pas le cas d’autres, moins passantes. Cette donnée doit bien évidemment être évoquée, tout comme la nécessité que le périmètre de piétonnisation soit cohérent et pertinent.

Mais il est également nécessaire de prendre en compte, pour définir ce périmètre, d’autres caractéristiques des rues et de leurs usagers : l’offre commerciale présente ou potentielle ainsi que sa nature, l’habitat, la nature des flux (accès riverains ou transit), l’ensoleillement, etc. La définition du périmètre de piétonnisation et les aménagements qu’il comprendra doivent impérativement être étudiés à l’aune de ces éléments, pour que le projet soit un succès. En effet, comment traiter de manière semblable la rue du Maure qui Trompe et la rue des Dominicains ? Or, en l’état, rien dans le livret de concertation ne laisse à penser que ces éléments auraient guidé la réflexion ou, en tout état de cause, la définition du périmètre concerné. Cela laisse augurer, lors de la mise en œuvre du projet, de regrettables difficultés, en particulier pour les riverains et les commerçants.

Penser la piétonnisation par le simple biais de scénarii alternatifs, sans envisager les éléments qui viennent d’être évoqués, revient tout bonnement à mettre la charrue avant les bœufs.

Un choix par défaut

En conclusion, si l’ensemble des conditions qui viennent d’être évoquées étaient remplies, il aurait été possible d’envisager de retenir le scénario le plus ambitieux (option 3), sous certaines réserves dans la définition des périmètres. Tel n’étant pas le cas, nous sommes enclins à choisir, malheureusement par défaut, le scénario le plus réduit (option 1).

 

L’association « Les Nancéiens »