L’essentiel : (1) À la suite de la demande de l’association « Les Nancéiens » et la saisine de la Commission d’accès aux documents administratifs, la ville de Nancy a finalement dévoilé certains documents concernant les travaux liés à la piétonisation et à la mise en place du trolley. (2) De manière générale, ceux-ci témoignent d’un amateurisme troublant et d’une absence de vision inquiétante. (3) S’agissant de la piétonisation du centre-ville, le permis d’aménager a été accordé sans procéder à toutes les consultations utiles, dans la précipitation et des délais inhabituels au regard de l’importance du projet, les travaux ayant d’ailleurs débuté immédiatement après sa signature, avec le risque d’une contestation en justice. Le dossier est par ailleurs vide en ce qui concerne deux de ses trois volets majeurs, à savoir la végétalisation et le mobilier. (3) La ville de Nancy indique enfin que le permis d’aménager relatif aux travaux de mise en place du trolley est en cours d’instruction. Il n’a donc pas encore été délivré, alors que des travaux ont débuté depuis plusieurs semaines.

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Tout aménagement de l’espace public nécessite un travail d’anticipation, de préparation et de concertation, afin de répondre aux besoins des riverains, des commerçants, des visiteurs, pour développer un projet urbain de qualité, et pour une juste dépense de l’argent public. Lorsque ces aménagements sont non seulement d’envergure, mais au cœur d’un site patrimonial remarquable (SPR), ils demandent une attention singulière, pour respecter et valoriser ces espaces, et en faire de vrais lieux de vie. C’est pourquoi la réglementation est particulièrement rigoureuse et que la concertation doit être irréprochable.

Par ailleurs, à Nancy, les rues Gambetta, Dominicains, Saint-Nicolas, Saint-Jean, Saint-Georges, du Pont Mouja, et Pierre Semard font partie du cœur battant de l’attractivité et du commerce de la ville. Ce sont ainsi, d’après l’agence SCALEN, près de 70 000 passants qui empruntent chaque jour la rue des Dominicains à la belle saison.

De tels enjeux nous engagent et les aménagements visant à transformer dans la durée le centre-ville, pour le rendre plus agréable et plus dynamique, ne sauraient être des brouillons !

Ces considérations concernent bien entendu les travaux liés à la piétonisation du centre-ville de Nancy et à la mise en place du trolley.

C’est la raison pour laquelle, alors que ces travaux étaient annoncés, et que des images d’ambiance étaient diffusées, l’association « Les Nancéiens » a demandé à la ville de Nancy, le 9 mars 2023, de lui communiquer les autorisations d’urbanisme délivrées concernant ces travaux. En effet, eu égard à leur ampleur, ceux-ci nécessitent l’adoption, notamment, de permis d’aménager et, pour autant qu’ils ont lieu au sein du périmètre du Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur (PSMV) de Nancy, d’un avis conforme de l’Architecte des bâtiments de France (ABF). L’objectif, pour l’association « Les Nancéiens », était de prendre connaissance de manière détaillée de la nature précise et de l’ampleur de ces travaux, les réunions d’informations et les images d’ambiance ne permettant pas de saisir la teneur exacte de ceux-ci. Un mois après cette demande, la ville de Nancy n’a pas répondu. Ce silence valant refus conformément à la loi. L’association « Les Nancéiens » a donc saisi la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), afin qu’elle émette un avis sur ce refus. Elle a également demandé à l’Unité départementale de l’architecture et du patrimoine (UDAP) de Meurthe-et-Moselle de communiquer les avis émis par l’ABF en lien avec ces travaux. Ceux-ci ont débuté courant mars s’agissant de ceux liés au trolley et le 24 avril s’agissant de ceux liés à la piétonisation.

Le 27 avril 2023, la ville de Nancy a communiqué à l’association « Les Nancéiens » certains documents. Il s’agit, en l’occurrence, de l’arrêté du 24 avril 2023 accordant le permis d’aménager lié à la piétonisation, ainsi que divers avis recueillis dans ce cadre, dont celui de l’ABF. En revanche, les annexes à cet arrêté (plan de situation, plan d’aménagement, note de présentation) n’ont, dans un premier temps, pas été transmises. Elles ont donc été sollicitées et transmises le 3 mai 2023. De même, les documents relatifs au travaux concernant la mise en place du trolley n’a été communiqué, en raison de leur caractère « préparatoire ».

Des éléments communiqués par la ville de Nancy le 27 avril et le 3 mai 2023, nous pouvons déduire que la piétonisation du centre-ville est conduite sans vision et que le trolley est sans permis.

Une piétonisation sans vision

Le 9 mai 2022, l’adjoint au maire délégué à l’attractivité a présenté la délibération décidant de la piétonisation du centre-ville de Nancy en indiquant que ce projet devait se développer autour de « trois axes forts », à savoir « un meilleur partage de l’espace public, avec plus de place pour les piétons et les cyclistes », « la végétalisation de la ville » et « la valorisation du patrimoine architectural et historique du plateau piétonnier ». Or, les documents communiqués par la ville de Nancy, et notamment l’avis de l’ABF concernant le projet de permis d’aménager d’une partie du plateau piétonnier, montrent que, depuis cette date, rien n’a été fait pour préciser ce projet.

Un permis d’aménager à l’instruction baroque

La procédure suivie pour l’obtention du permis d’aménager mérite l’intérêt.

Premièrement, elle n’a fait l’objet d’aucune concertation préalable. Ainsi, alors même que, consciente des enjeux, l’agence Scalen préconisait d’associer les usagers et commerçants, en « communiqu[ant] davantage en amont (concertation) et pendant (pédagogie) », aucun échange n’a eu lieu pour décider de manière concertée de la nature précise des aménagements du plateau piétonnier. Seules des séances d’information, au cours desquelles ont été présentées des images d’ambiance, ont eu lieu. De même, la Commission locale du SPR, instance qui intervient lors de l’élaboration du document de gestion du SPR mais également durant la mise en œuvre de ce document, n’a pas été consultée, alors que le projet de piétonisation constitue un projet urbain d’ampleur impactant le secteur protégé de Nancy. On se demande quel projet plus important que la piétonisation d’une partie du SPR mériterait l’attention de la Commission locale !?!?

Deuxièmement, la demande de permis d’aménager a fait l’objet d’une instruction inhabituellement rapide. Cette demande a été déposée le 8 mars 2023, soit la veille de notre demande d’accès aux documents. L’ABF a été saisie le 21 mars et a rendu son avis le 24 avril 2023. Dès la réception de ce dernier, l’arrêté autorisant le permis d’aménager a été signé. Les travaux ont débuté dans la foulée, le matin du 24 avril par l’installation du matériel, alors que le permis d’aménager n’était pas encore signé. Ils ont d’ailleurs été suspendus quelques heures, le temps de procéder à cette signature… Du jamais vu : compte tenu des prescriptions spécifiques au SPR et de l’ampleur du projet, un délai d’instruction de 4 mois aurait semblé raisonnable… Ici, tout a été fait en 1,5 mois, à marche forcée, afin de faire débuter les travaux à la date annoncée par voie de presse, alors que les avis et autorisations n’étaient pas tous rendus. Revers de la médaille : le permis d’aménager n’a pas été « purgé » et est encore susceptible de recours en justice.

Ainsi ces éléments concernant la procédure suivie montrent que le projet est précipité, alors même qu’un an s’est écoulé depuis la délibération actant la piétonisation. Un an pour quoi ? Il y avait tout le temps pour construire un projet solide et sérieux… et pourtant ! Le même sentiment d’amateurisme et de précipitation découle de l’examen du fond du permis d’aménager. Ou plutôt de l’absence de fond. Car le permis d’aménager témoigne du vide du projet d’aménagement lié à la piétonisation, comme le relève l’ABF dans son avis.

Un permis d’aménager incomplet

Le permis d’aménager délivré le 24 avril vise à aménager sur 520 mètres de long et une surface de 7800m² les rues Gambetta, des Dominicains, du Pont Mouja, et Saint-Nicolas, en reprenant et en aménageant la voirie sur une largeur de 7 à 8 mètres. Cette opération comporte trois volets : tracé/revêtement de voirie, végétalisation, et mobilier/signalétique.

Le premier volet du projet consiste à revoir le tracé de la voirie et son revêtement. Les matériaux choisis s’inspirent de ceux de la Grande rue. Ils visent à créer une esthétique propre à l’aire piétonne et respectent les prescriptions réglementaires. Le choix de la couleur des pavés a été validé par l’ABF. Des questions demeurent cependant. Même piétonnes, les rues concernées continueront en effet à être circulées pour les livraisons, les secours, la collecte des déchets, etc… Soit un usage avec des contraintes très particulières et des véhicules parfois imposants. Est-ce que cela a été anticipé ? Les services de secours ont-ils validé le tracé ? Aucun avis du service départemental d’incendie et de secours (SDIS) ne permet de le considérer. Les camions de collecte des déchets ou de livraison ne risquent-ils pas d’abîmer la végétalisation prévue (- s’il s’agit d’arbres) ?

Les deuxième et troisième volets du projet, à savoir la végétalisation et le mobilier, sont particulièrement préoccupants. Sur ces deux points, les attentes citoyennes sont fortes. Car c’est ce qui fera de l’espace piéton un véritable lieu de vie, en plus d’être un lieu de passage ou commerçant. La réussite de l’aménagement de la Place Stanislas tient par exemple pour partie à ses lisses, si vite adoptées par les visiteurs, et devenus des lieux de rencontres et de retrouvailles. Alors quelle signature visuelle, quelle identité pour ce nouvel espace ? Le permis d’aménager est particulièrement flou sur le sujet : aucune proposition précise n’est formulée, malgré l’importance du projet et le temps à disposition. Même l’ABF regrette ce vide.

S’agissant de la végétalisation, il est certes proposé de végétaliser les 4 rues concernées précitées (et donc pas toute l’aire piétonne). Or, en l’état, le PSMV ne prévoit pas que ces rues fassent l’objet d’une végétalisation. Nous avions d’ailleurs regretté récemment qu’il n’ait pas été profité de la modification de ce document réglementaire pour adapter ce dernier au projet de piétonisation en particulier sur cet aspect. Nous avions été clairvoyants. Cet aspect est aussi relevé par l’ABF. Néanmoins, le fait que cette végétalisation ne soit pas prévue ne l’interdit pas (sous réserve que les rues où cette végétalisation est prévue soient traitées en priorité…). Toutefois, en l’état, c’est le flou complet sur cette végétalisation. De nombreuses fosses de plantation sont certes prévues. Mais le dossier est vide s’agissant des essences devant être plantées. Or, ceci est d’autant plus important qu’une végétalisation doit être adaptée à l’espace urbain dans lequel elle s’inscrit. Non adaptée, elle pourrait, à terme, couper les perspectives architecturales et vues patrimoniales (en particulier vers et depuis la place Stanislas), nuire aux activités commerciales (le positionnement de massif ne devrait ainsi pas mettre en cause l’attractivité ou l’accessibilité des commerces) , voire empêcher les interventions des services de secours.

Fait remarquable et inhabituel : le service des Parcs et jardins de la ville de Nancy, dont les agents ont un talent reconnu et incontestable, n’a pas rendu d’avis. Que doit on déduire du fait que le principal service concerné s’abstienne de donner son point de vue sur la végétalisation d’un espace de près d’un hectare ?

Focus : pourquoi la végétalisation doit être murement réfléchie : Pour l’association « Les Nancéiens », la végétalisation des rues est une chose sérieuse, qui ne se décide pas une fois le projet terminé ou en cours de travaux. Végétaliser ces rues doit être tout sauf un affichage ou un slogan. Les images d’ambiance proposées ressemblent hélas à un « copié-collé » d’aménagements déjà observés dans d’autres métropoles, sans lien avec la tradition horticole de Nancy ni les aménagements des places de la Carrière ou de l’Alliance voisines. Les arbres et les végétaux ne sont pas que des objets de décor ou de greenwashing mais des êtres vivants. Les aménagements doivent leur permettre de s’épanouir dans la durée. Plantera-t-on des arbres ? De quelle hauteur à terme ? Quelle ombre portée ? Ou bien ce ne seront « que » des buissons ? Quel rafraichissement apporté par l’une ou l’autre des solutions dans les rues traversées ? Sachant que l’adaptation de l’espace public au changement climatique est un des enjeux premiers pour qu’il continue à être vivable et les déambulations y être agréables. Quel sera le critère de choix ? Il serait dommageable que le choix soit contraint par des travaux déjà engagés… Par ailleurs, quelle ambition réelle pour cette végétalisation ? Quel programme annuel d’investissement ? Quel entretien prévu au quotidien pour éviter que ces espaces se transforment en canisites ou soient recouverts de déchets ? Une seule chose est sûre s’agissant de la végétalisation : l’ABF ne veut plus revoir de clôtures en bois (dites ganivelles), comme celles installées rue Pierre Fourrier, non esthétiques, non qualitatives et qui se dégradent rapidement.

S’agissant du mobilier, même constat : le dossier ne comprend aucune information sur les ferronneries, l’éclairage, la signalétique, les poubelles, les bancs, etc… ! Il s’agit pourtant d’éléments importants qui donneront toute leur « âme » à l’aire piétonne. Pour ce qui est en particulier des assises, au-delà de leur choix esthétique, leur emplacement devrait faire l’objet d’une concertation avec les usagers et les commerçants, afin d’éviter des déplacements ultérieurs venant pallier des positionnements non réfléchis.

Ainsi, s’agissant tant de la végétalisation que du mobilier, deux aspects qui feront l’essence même du projet de piétonisation, c’est le vide. On regrette en particulier l’absence de diagnostic historique, patrimonial, environnemental, et commercial sérieux et de proposition complète. L’ABF le déplore également et demande à ce que les précisions nécessaires soient apportées le plus vite possible, avant qu’il soit procédé aux commandes et aux installations. Force est donc de constater que, malgré le début des travaux, le projet de piétonisation reste bel et bien à un stade de brouillon.

On ajoutera que, au-delà de l’impréparation technique, le volet budgétaire reste flou.

Un trolley sans permis

Autre point de préoccupation majeure : les travaux liés à la mise en place du trolley. Ils ont désormais débuté depuis plusieurs semaines, au sein du SPR, notamment dans les rues Saint-Jean et Saint-Georges.

Toutefois, la ville de Nancy n’a pas été en mesure de nous communiquer les autorisations d’urbanisme liées à ces travaux. Pourquoi ? Parce que le permis d’aménager relatif à la mise en place du Trolley est en cours d’instruction. Il n’a donc pas encore été accordé ! Ce que la ville de Nancy nous a confirmé.

Dans ces conditions, la question se pose de savoir si les travaux qui ont lieu depuis plusieurs semaines, précisément dans la perspective de la mise en place du trolley, ont été dûment autorisés. Mais, aucun document ne nous a été communiqué à cet égard… En tout état de cause, tout permis qui serait accordé ultérieurement pourrait être contesté en justice.

Seule certitude : là encore, les travaux liés à la mise en place du trolley sont menés à marche forcée et dans la précipitation.

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Face à si peu de transparence ou autant de lacunes, nous ne pouvons-nous résoudre à donner un chèque en blanc ! Aussi, à défaut de pouvoir stopper les travaux qui ont débuté – ce qui pénaliserait habitants, commerçants et touristes en prolongeant la durée des nuisances, l’association « Les Nancéiens » appelle de ses vœux :

  • l’ouverture immédiate d’une concertation avec l’ensemble des parties prenantes et associations représentatives et la saisine de la commission locale du SPR, afin de déterminer de manière partagée la nature des aménagements, en particulier végétaux et mobiliers, qui accompagneront la pietonnisation et la mise en place du trolley ;
  • la transparence sur le budget des travaux prévus ainsi que des investissements induits, en particulier pour garantir un mobilier de qualité et une végétalisation durable, répondant aux objectifs de valorisation patrimoniale et d’adaptation au changement climatique.

 


Liste des acronymes

SPR : site patrimonial remarquable (ex-secteur sauvegardé)

PSMV : plans de sauvegarde et de mise en valeur (document qui réglemente, notamment, les travaux au sein du site patrimonial remarquable, afin d’en assurer la sauvegarde et la mise en valeur)

ABF : architecte des bâtiments de France (fonctionnaire chargé de la protection des espaces protégés et du patrimoine)

UDAP : unité départementale de l’architecture et du patrimoine (administration chargée, notamment, de controler les projets menés dans les sites patrimoniaux remarquables)

SDIS : service départemental d’incendie et de secours (établissement chargé, notamment, de l’organisation des moyens de secours et de la protection des personnes)

CADA : commission d’accès aux documents administratifs (autorité administrative indépendante contrôlant l’accès des particuliers aux documents administratifs)